La triade de la femme sportive

La triade de la femme sportive est caractérisée par des troubles du cycle menstruel, des troubles du comportement alimentaire et une déminéralisation osseuse, chez les femmes pratiquant une activité sportive conséquente.
La triade de la femme sportive : définition
Alors que les activités sportives à impact tel que la course à pied, la gymnastique ou les sports collectifs ont un effet bénéfique sur la minéralisation osseuse, les premières mesures de la densité osseuse dans les années 1980 ont pointé du doigt une densité osseuse anormalement faible chez certaines athlètes et d’autant plus dans les sports d’endurance, esthétiques, à catégories de poids, sports dans lesquels la volonté de contrôle du poids conduit l’athlète à suivre des régimes restrictifs et déséquilibrés, débouchant sur une faible disponibilité en énergie.
Ces sportives présentent des particularités communes, telles que des troubles du cycle menstruels pouvant entrainer des aménorrhées soit primaires (absence de premières règles après l’âge de 16 ans chez les jeunes athlètes) soit secondaires (absence de 3 cycles consécutifs après l’apparition des premières règles).
Il existe une interdépendance entre les trois éléments de la triade et le déficit énergétique joue un rôle primordial dans celle-ci. La combinaison « troubles de l’alimentation / cycles menstruels irréguliers » finit par engendrer une perturbation hormonale, entrainant une baisse de la densité minérale osseuse.
Les mécanismes impliqués

Les trois éléments de la triade (en rouge) constituent trois problèmes distincts mais également dépendants, le déficit énergétique et donc par conséquent la baisse des réserves énergétique étant l’élément fondamental de la triade. Les trois éléments étant directement dépendants de l’équilibre énergétique total (entre apports et dépenses), ils peuvent donc évoluer dans les deux sens de façon réversible (aggravation ou amélioration) selon l’importance du déficit énergétique.
L’équilibre énergétique favorise un maintien des réserves énergétique et de la masse grasse, qui elle-même préserve les taux d’œstrogènes et la fonction ovarienne, ce qui influence directement la densité osseuse puisque, nous allons le voir, ces deux paramètres sont intimement liés.
Les sportives les plus à risques sont celles dont la pratique nécessite un contrôle permanent du poids. Nous pouvons notamment citer :
- Les sports à catégories de poids
- Les sports d’endurance
- Les sports esthétiques
- Les sports artistiques
- Parents ou entraîneurs dans le contrôle
- Athlètes perfectionnistes
- Manque de confiance en soi
Pour détailler simplement ce schéma ci-dessus, une restriction alimentaire engendre un déséquilibre de la balance énergétique, qui elle-même engendre une diminution de la masse grasse, influant les taux d’hormones notamment au niveau oestrogénique, qui eux-mêmes influent sur la densité osseuse.
Détaillons chaque point de la triade :
Troubles du cycle menstruel
Quels troubles ?
Chez la femme (sportive comme non sportive) les troubles du cycle croissent en fonction de la gravité :
- Cycles normaux, ovulatoires (26 à 32 jours) ;
- Puis insuffisance lutéale (la phase lutéale se situe après l’ovulation et jusqu’au dernier jour du cycle ovarien. En cas d’insuffisance, cette phase dure <10 jours, contre 12 à 14 jours en cas de cycle normal.) ;
- S’ensuit une anovulation ;
- Puis une spanioménorrhée (durée des cycles > 35 jours) ;
- Et enfin une aménorrhée (absence de règles depuis plus de 3 mois) : on parlera d’aménorrhée secondaire, puisque l’absence de règles a lieu chez la femme jusqu’alors normalement réglée et hors grossesse. L’aménorrhée primaire est différente car elle représente une absence de règles avant l’âge de 16 ans. Elle peut dans ce cas concerner les jeunes sportives.
Les troubles du cycle menstruel les plus souvent rencontrés chez la sportive sont l’insuffisance lutéale et l’anovulation. Ils sont par contre asymptomatiques et donc non diagnostiqués puisque la sportive, dans ces deux cas de figure, peut conserver des règles régulières. La spanioménorrhée, qui correspond à la diminution de la fréquence des cycles, peut être la conséquence de troubles hormonaux et est réversible.
Quelle prévalence ?
Concernant l’aménorrhée (absence de règles), la prévalence dans la population générale est de l’ordre de 2 à 5%. Chez les femmes sportives, ce chiffre varie énormément en fonction des différentes disciplines, de l’âge, du poids corporel et du volume d’entrainement. Une étude de 1999 évoquait déjà une prévalence inquiétante selon les différentes disciplines et l’on peut facilement estimer ce chiffre à la hausse au cours des dernières années notamment avec la montée en flèche des réseaux sociaux et de la pression sociale induite :
- 12% dans les sports non portants (cyclisme/natation)
- 26% chez les marathoniennes
- 35 à 80% chez les danseuses de ballet
Concernant les anomalies asymptomatiques du cycle menstruel , il a été rapporté que 90% des femmes actives présentaient des cycles ovulatoires, contre seulement 45% chez les sportives, avec des variations importantes selon le sport pratiqué, mais retrouvés davantage dans les sports esthétiques, à catégorie de poids, artistiques et d’endurance.
Par ailleurs, ces troubles ne sont pas retrouvés uniquement sur les sportifs de haut niveau mais chez toute sportive dont l’image corporelle et la quête de performance constituent une préoccupation. Ce qui appuie le fait que ce n’est pas l’intensité ni le volume d’entrainement qui est impliqué dans la régulation du cycle menstruel mais un taux de masse grasse faible, comme nous allons le voir ensuite.
La physiopathologie en bref
Les troubles du cycle menstruel chez l’athlète ne sont pas dus à l’intensité ou la fréquence d’entrainement mais aux facteurs nutritionnels (déficit énergétique global, augmentation des dépenses et déficit au niveau lipidique). L’importance du déficit est proportionnelle à la sévérité des troubles. Ainsi, chez les femmes sportives dont les apports sont équilibrés et cohérents aux dépenses, même avec un gros volume d’entrainement, les cycles ovulatoires sont normaux, mais un déséquilibre énergétique entraine des troubles du cycle qui augmentent avec l’importance du déficit : en alternant des phases de restriction puis d’apports alimentaires satisfaisant, les troubles peuvent être de l’ordre de l’anovulation, tandis que la spanioménorrhée (cycles menstruels rares) puis l’aménorrhée (absence de cycle) témoignent d’un déficit énergétique chronique.
L’origine des troubles du cycle chez l’athlète est hypothalamo-hypophysaire. Une faible disponibilité en énergie induit une diminution de la pulsatilité de l’hormone GnRH (sécrétée par pulse au niveau de l’hypothalamus) entrainant elle-même une diminution de la pulsatilité de l’hormone LH et de la sécrétion de FSH. La LH chez la femme est impliquée dans la production d’œstrogènes, de progestérone et dans la stimulation de l’ovulation, tandis que la FSH est impliquée dans la production d’œstrogènes et le développement des ovocytes.
On considère un « seuil de disponibilité énergétique » correspondant à un apport énergétique en dessous duquel les troubles de la fonction ovarienne apparaissent. Ce seuil est fixé à 30 kcal/kg de masse maigre par jour. La pulsatilité de la LH ne varie pas de façon proportionnelle à cette disponibilité énergétique mais diminue significativement en dessous de ce seuil.
Exemple concret : Prenons une femme de 60 kilos avec 35kg de masse maigre. Si sa dépense liée à l’exercice est de 400 kcal par jour, la disponibilité énergétique est de 35×30 soit 1050 kcal auxquelles il faut ajouter les 400 kcal de l’exercice = les apports via l’alimentation doivent être supérieurs à 1450 kcal par jour afin d’assurer des cycles réguliers.
Par ailleurs, la leptine est une autre hormone qui joue un rôle dans la régulation du cycle menstruel (entre beaucoup d’autres choses). Cette hormone, produite par les adipocytes, est proportionnelle à la masse de tissu adipeux et donc dépendante de la balance énergétique et de l’apport quantitatif et qualitatif en lipides. Un déficit énergétique engendre donc une chute de la production de leptine dont les récepteurs sont ubiquitaires (dans toutes les cellules) mais notamment présents au niveau de l’hypothalamus et de l’ovaire. Ainsi, la concentration en leptine plasmatique est nettement plus faible chez les athlètes présentant un taux de masse grasse faible. Cette hormone joue un rôle permissif sur la sécrétion hypothalamique de GnRH et sur la folliculogenèse. Une hypoleptinémie induit une diminution voir un arrêt de la production de GnRH qui elle-même engendre des troubles au niveau ovarien car impliquée dans la sécrétion des hormones LH et FSH, comme vu ci-dessus.
En résumé, les troubles du cycle menstruel chez la sportive sont proportionnels à l’importance du déficit énergétique et n’ont pas à voir comme on pourrait le penser au volume d’entrainement. Si la balance énergétique est équilibrée, un haut volume d’entrainement n’impactera pas la régularité des cycles.
Les conséquences
Les troubles du cycle menstruel sont la conséquence d’un ralentissement de l’axe hypothalamo- hypophysaire. La baisse de la sécrétion de progestérone par les ovaires et l’insuffisance oestrogénique sont les principales conséquences de ce ralentissement qui auront des répercussions sur la fécondité (risque d’infertilité), la densité minérale osseuse (risque d’ostéopénie et ostéoporose) et la fonction endothéliale (inflammation endothéliale).
Troubles du comportement alimentaire
Quelle prévalence ?
Les athlètes féminines ont davantage de risque de développer des TCA que les femmes non sportives et même au niveau amateur. D’ailleurs 90% des sportifs qui souffrent de TCA sont des femmes, nombre cohérent en comparaison avec la population non sportive.
Les données varient beaucoup selon les études, et les chiffres sont sans doute sous-évalués en raison de la réticence des athlètes à répondre aux questionnaires ainsi qu’à considérer certains comportements anormaux de restriction alimentaire comme normaux et à sous-estimé la gravité d’autres comportements (vomissements, laxatifs…). Mais nous pouvons citer ces chiffres, moyenne des différentes études menées sur le sujet :
- 5% dans les sports de puissance
- 11% dans les sports de balle
- 20% dans les sports d’endurance
- 26% dans les sports à catégories de poids
- 37% dans les sports esthétiques
Ces chiffres sont des données tout TCA confondus. le pourcentage d’athlète présentant une anorexie mentale/boulimie clinique représente 2 à 3% selon les études et les disciplines (contre 0.1 à 0.9% dans la population générale) et 15 à 65% des troubles des conduites alimentaires non spécifiées (EDNOS en anglais pour Eating Disorders Not Otherwise Specified) contre 3 à 5 % dans la population générale…
Ces données ne sont pas figées car il est difficile de vraiment évaluer la prévalence (petits échantillons, réticence des athlètes, déni, et surtout nombre qui augmente d’année en année).
Les différents troubles
- Anorexie mentale (Anorexia Nervosa)
Elle peut se présenter sous différentes formes, allant de la privation et sélection alimentaire à une alimentation normale associée à des vomissements provoqués ou une hyperactivité. Une aménorrhée est souvent corrélée à l’anorexie avec pour conséquence une ostéoporose.
2. Boulimie (Bulimia nervosa)
Plus fréquente que l’anorexie mentale, elle est caractérisée par des crises compulsives de quantités importantes de nourriture, sur une courte période, avec perte de contrôle, suivies de comportements compensatoires (vomissements, laxatifs, sport à outrance).
3. Troubles alimentaires non spécifiés (EDNOS pour Eating Disorders Not Otherwise Specified)
Les EDNOS représentent une catégorie regroupant les TCA qui ne remplissent pas les critères de l’anorexie ou de la boulimie. Ils peuvent regrouper quelques symptômes de l’anorexie, de la boulimie, ou les deux mélangés. Voici quelques exemples :
- Anorexie mentale sans aménorrhée ;
- Boulimie avec fréquence de crise / comportements compensatoires < 2x par semaine pendant 3 mois ;
- Anorexie mentale chez un individu à poids normal ;
- Mastication sans déglutition ;
- Hyperphagie boulimique…
Les causes et facteurs aggravants
Plusieurs facteurs sont à l’origine du développement des TCA chez la sportive parmi lesquels :
- Les risques liés à la discipline pratiquée : les sports à catégorie de poids, les sports esthétiques, les sports d’endurance, les sports artistiques…
- La pression sociale : réseaux sociaux, médias, pression des parents et de l’entraineur…
- Les facteurs psychologiques : athlètes perfectionnistes, anxieuses, manque de confiance en soi, conduites compulsives, désir de plaire…
- Origine biologique : déséquilibres hormonaux ou neurologiques, déficit en neurotransmetteurs…
Certains facteurs peuvent accentuer la gravité des TCA :
- TCA précoces (jeunes athlètes) ;
- Comportements compensatoires (laxatifs, vomissements…) ;
- Troubles psychiatriques ;
- Echec en compétition ;
- Blessures ;
- Problèmes familiaux / sentimentaux.
Les conséquences
Nombreuses sont les conséquences des TCA mais citons les principales :
- Symptômes physique et psychologique : fatigue, anxiété, dépression, troubles digestifs, troubles du cycle menstruel, déshydratation…
- Diverses carences : carences martiales (fer), en acides aminés (du à un apport insuffisant en protéines : la masse musculaire ne se renouvelle pas), hypokaliémie (carence en potassium et risques cardiaques), hypoglycémie (y compris à l’effort).
- Mauvaise motricité digestive et mauvaise absorption des nutriments.
A long terme, d’autres conséquences peuvent apparaitre :
- Troubles hormonaux ;
- Troubles de la minéralisation osseuse (ostéopénie puis ostéoporose) ;
- Risque de blessures ;
- Affaiblissement du système immunitaire ;
- Troubles cardio-vasculaires ;
- Troubles obsessionnels compulsifs.
Dans les cas les plus graves et à un niveau extrême :
- Arrêt cardiaque ;
- Mort ;
- Suicide.
Troubles de la minéralisation osseuse
Les troubles du cycle menstruel et les troubles du comportement alimentaire chez la sportive peuvent conduire à une déminéralisation osseuse augmentant le risque de fracture et pouvant conduire jusqu’à l’ostéoporose.
Définition
La diminution de la densité minérale osseuse et une altération de la qualité de l’os (ostéopénie) peuvent, à terme, conduire à une ostéoporose, augmentant le risque de fracture. Il existe 2 types d’ostéoporose :
- L’ostéoporose primaire (liée à l’âge)
- L’ostéoporose secondaire (celle qui nous intéresse ici, liée à une pathologie ou à un dérèglement hormonal).
Il est difficile de connaître la prévalence de l’ostéoporose chez la jeune sportive car elle est déjà rarement recherchée, les sportives concernées sont parfois jeunes et donc en plein développement osseux, et enfin la technique utilisée pour mesurer la densité osseuse (l’ostéodensitométrie biphotonique) est très peu utilisée sur ces populations.
Ainsi la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise une ostéodensitométrie que dans certaines indications : ménopause, risque de fractures, signes d’ostéoporose, traitement inducteur d’ostéoporose…
Le rôle des hormones dans l’ostéoporose
- Le rôle des œstrogènes
Une carence en œstrogènes induit une augmentation de la vitesse du remodelage osseux conduisant à un déséquilibre entre résorption et formation, perte osseuse, et ostéoporose. Les œstrogènes agissent alors comme de véritables régulateurs hormonaux impliqués dans le métabolisme osseux.
Des cytokines (hormones du système immunitaire) sont impliquées dans la résorption osseuse en provoquant un recrutement et une maturation des précurseurs des ostéoclastes (cellules osseuses responsables de la résorption du tissu osseux participant à son renouvellement continu). Chez la femme ménopausée, ces cytokines sont produites en excès par les monocytes (globules blancs). Les œstrogènes modulent la production des cytokines, et leur carence induit une augmentation de la production de cytokines, accélérant la résorption osseuse.
Les œstrogènes ont alors pour cible les ostéoblastes (qui, contrairement aux ostéoclastes, sont des cellules qui forment l’os) et inhibent la résorption du tissu osseux (et donc l’ostéoclastogenèse).
La progestérone stimule également la formation osseuse, indépendamment des œstrogènes.
C’est ainsi que l’on comprend comment un trouble minéral osseux découle directement des troubles du cycle menstruel et d’une carence en œstrogènes.
Effets de l’activité physique sur la densité osseuse
- Effet bénéfiques
Ce sont plus précisément les contraintes mécaniques exercées sur le squelette qui vont induire la formation du tissu osseux. La pratique d’une activité physique avec contrainte mécanique va donc agir positivement sur la masse osseuse, la densité osseuse ainsi que la texture osseuse.
Les sportives pratiquant des sports comme la course à pied, la musculation ou la gymnastique auront ainsi une densité minérale osseuse plus élevée que les nageuses ou les cyclistes.
- Effets délétères
Comme nous l’avons ainsi vu, un excès d’activité physique peut engendrer un déficit énergétique et causer des désordres hormonaux conduisant à des troubles de la minéralisation osseuse. Les femmes en aménorrhée ont donc une densité minérale osseuse abaissée. À terme, cette diminution de la densité osseuse peut conduire à des blessures à répétition, fractures, et une ostéoporose précoce. À ce jour, les études ne permettent pas de conclure la récupération totale de la densité minérale une fois les troubles installés, et cela même si les troubles du cycle se normalisent.
Conclusion
La triade de la femme sportive est définie par des troubles du comportement alimentaire, des troubles du cycle menstruel et des troubles de la minéralisation osseuse, chez les femmes pratiquant une activité sportive importante.
La diminution des apports alimentaires et l’augmentation des dépenses énergétiques, associée à des troubles du comportement alimentaire entraînent une baisse de la disponibilité énergétique, une diminution de la masse grasse et un désordre endocrinien, menant à des troubles de la densité osseuse.
Nouchka SIMIC