S’entraîner à jeun : impacts sur le poids et la performance

Rares sont les cyclistes qui grimpent sur leur vélo au saut du lit pour enquiller 70 km au levé du soleil. En revanche, nombre de coureurs ont l’habitude d’enfiler leurs baskets avant même d’ouvrir le deuxième œil. Soucis d’organisation ou astuce pour se délester plus vite de quelques kilos, l’entraînement aux aurores peut offrir des avantages, mais aussi des inconvénients.
L’entraînement à jeun fait-il maigrir ?
Oui et non en fait. Il est courant d’entendre que courir à jeun permet de brûler plus de graisses et donc de perdre du poids. Certaines études scientifiques suggèrent à l’heure actuelle que ce n’est pas l’entraînement à jeun qui fait maigrir, mais qu’il peut aider à faire perdre du poids. Vous ne me suivez déjà plus ? Explications :
Courir à jeun ne fait pas maigrir
Une étude américaine menée par des chercheurs en science du sport en 2014 a permis d’expérimenter l’hypothèse selon laquelle la pratique d’un exercice aérobie après une nuit de jeûne accélèrerait l’oxydation de graisses corporelles. Pendant 4 semaines, 20 jeunes femmes volontaires ont été réparti au hasard dans deux groupes : un groupe expérimental d’entrainement à jeun, et l’autre en postprandial (avec consommation d’un petit déjeuner avant l’entrainement). L’entrainement consistait à 1h de travail en aérobie (course à pied sur tapis), trois fois par semaine. Un plan diététique personnalisé avec déficit calorique a également été mis en place pour chaque volontaire. Les deux groupes étaient donc en déficit de 500 calories (dans le but de perdre du poids).
Au terme des 4 semaines, on a observé une perte de poids (d’environ 1 kilo) et de masse grasse dans les deux groupes mais sans aucune différence entre les deux. Cette étude montre donc qu’un déficit calorique associé à un exercice aérobie induit un changement de composition corporelle mais ça que l’on soit à jeun ou non au moment de l’entrainement.
L’hypothèse de base était que l’entraînement à jeun oblige le corps à utiliser les graisses comme substrat préférentiel plutôt que les glucides, diminuant de ce fait la graisse corporelle de façon plus conséquente que lors d’un exercice postprandial. Or, les résultats de cette étude réfutent cette hypothèse. Cependant l’étude n’a été menée que sur 4 semaines et sur 20 personnes (de même sexe, avec même IMC, même IMG et même taille). Délai relativement court et paramètres restreints pour être certains que la balance n’aurait pas penchée de tel ou tel côté avec quelques semaines de plus.
Ce n’est pas parce que l’oxydation de lipides est prioritaire lors d’un entraînement à jeun que l’on perd forcément plus de poids. En effet, les glucides qui sont normalement le substrat préférentiel ne sont donc plus utilisés dans ce cas, et inversement : si l’on s’entraîne en postprandiale, l’utilisation des lipides est inhibée au profit des glucides pour fournir de l’énergie et les lipides seront oxydés plus tard. Donc en fin de compte, la notion de balance énergétique est toujours la même et on ne perd pas plus de poids.
Mais courir à jeun peut vous aider à maigrir
Vous l’avez compris, l’entrainement à jeun ne fait pas directement maigrir (et non, encore une fois, il n’y a pas de magie). Mais ça peut potentiellement vous aider à perdre du poids… Comment ?
Une autre étude de l’université de Bath datant de 2019 sur un groupe d’hommes cette fois-ci a permis d’évaluer l’effet du jeun à l’effort sur le métabolisme et l’équilibre énergétique durant 24 h par rapport à la consommation du petit-déjeuner avant l’exercice.
L’étude d’un mois (assez courte encore une fois) a révélé que lorsqu’il y avait entrainement à jeun, les repas suivants étaient naturellement plus riches que s’il y avait eu un petit déjeuner. Cependant, cette augmentation énergétique lors du prochain repas restait moins importante que les apports amenés par le petit déjeuner pré-entraînement. Le bilan énergétique sur 24h était de -400 kcal pour le groupe avec entraînement à jeun.
Donc, le sport à jeun permettrait au final, de manière indirect, de manger moins sur la journée, et d’être en déficit calorique à la fin de celle-ci. On perdrait donc du poids sans que cela soit directement lié au fait de courir à jeun, mais plutôt à l’adaptation du métabolisme sur les heures qui suivent.
A prendre une fois de plus avec du recul car d’autres choses peuvent rentrer en jeux : durée de l’effort, intensité de celui-ci, comportement alimentaire… Nous ne sommes pas tous adaptés à l’entrainement à jeun, d’autant plus chez les sportifs de haut niveau avec forte dépense énergétique et donc des besoins tout aussi conséquents que les dépenses.
Effets sur le métabolisme
Pour les entrainements courts (moins d’une heure) il n’y a pas vraiment de différence significative sur le métabolisme. En revanche à partir d’une heure on observe une plus grande quantité d’acides gras libres dans le sang (lié à leur oxydation). Les niveaux d’adrénaline, noradrénaline et dopamine sont également augmentés. L’entrainement prolongé à jeun permet aussi l’augmentation de l’activité enzymatique au niveau mitochondrial (centre énergétique des cellules).
Certes, on observe une oxydation des graisses plus importante lors d’un exercice à jeun mais cette théorie selon laquelle l’exercice à jeun permettrait une combustion plus importante des graisses est discutable. En effet, cette théorie ne prend pas en considération la dynamique du corps humain qui adapte l’utilisation de substrats à des fins énergétiques.
Il a en effet été démontré qu’une utilisation plus importante des graisses comme carburant pendant une période était compensée par une utilisation accrue des glucides sur les heures qui suivent. Donc, l’utilisation des graisses comme substrat devrait être étudiée sur une période plus longue (de plusieurs jours) et non pas en comparant une heure par rapport à une autre pour pouvoir clairement trancher sur l’impact vis à vis de la composition corporelle. On en revient donc à notre première étude menée sur les 2 groupes de femmes : il n’y a pas de différence significative entre les sujets s’entrainant à jeun et ceux en postprandial sur la composition corporelle.
Par ailleurs, après une nuit de sommeil, le foie, ayant une fonction de « relargage » afin de maintenir la glycémie, a distillé la majorité des stocks de glycogène dont il disposait. Ainsi, les risques d’hypoglycémie lors d’un entrainement à jeun sont réels. Certes, le corps peut mobiliser les lipides à des fins énergétiques, mais ça ne s’arrête pas à A=A et B=B. L’entrainement à jeun induit une libération accrue d’hormones y compris de cortisol (hormone sécrétée par les glandes surrénales) qui conduit à une protéolyse (fonte des muscles). Des acides aminés peuvent donc être libérés dans le sang et être détournés de leur fonction structurale pour être utilisés à des fins énergétiques. On se retrouve donc avec des acides gras et des acides aminés dans la circulation sanguine à des fins énergétiques, mais pas de glucides, pourtant substrat préférentiel de notre organisme…
L’oxydation de graisses pour répondre aux besoins énergétiques peut également être incomplète, aboutissant à la formation de corps cétoniques potentiellement délétères pour l’organisme par acidification et accentuation de pertes minérales.
Qu’en est-il des performances ?
Certes, l’entrainement à jeun induit une consommation préférentielle et instantanée des lipides. Mais comme on l’a vu précédemment, il y a d’autres conséquences qui peuvent en découler : non utilisation des glucides, augmentation du cortisol, fonte musculaire, formation de corps cétoniques, acidification de l’organisme.
S’entrainer à jeun ne semble pas permettre une amélioration significative des performances sportives, d’autant plus si il y a entrainement de longue durée et/ou forte intensité.
Le glycogène hépatique s’amoindrit durant la nuit pour maintenir la glycémie mais pas le glycogène musculaire. Or c’est celui-là même qui agit comme régulateur des adaptations au niveau musculaires lors d’un effort d’endurance. C’est lorsqu’il y a diminution du glycogène musculaire que les capacités mitochondriales des muscles sont augmentées, et ce n’est pas le cas ici.
Pour un effort de courte durée et de faible intensité, un entrainement à jeun ne semble pas influer ni positivement ni négativement sur les performances sportives. Mais dès que l’intensité augmente (en durée et en intensité) et que l’on atteint 70% de la VO2 max on observe une diminution des performances sportives. L’utilisation des acides aminés à des fins énergétiques induite par l’augmentation du cortisol semble modifier l’équilibre des neurotransmetteurs en augmentant la quantité de sérotonine et d’adrénaline. La sérotonine influencerait la motivation de l’athlète (et le rendrai lasse de l’entraînement).
Conclusion
Je pense que la meilleure des conclusion est celle que l’on se fait de notre propre expérimentation sur notre propre personne. J’ai tendance à dire que nous ne réagissons pas de la même manière, que nous avons tous des métabolismes différents et que la meilleure façon de savoir si quelque chose marche chez vous, c’est de l’expérimenter.
En revanche, on peut facilement peser le « bénéfique » et le « négatif ». Et je pense que l’on peut s’accorder sur le fait que l’entrainement, à part une potentielle capacité d’oxydation des graisses (qui n’est même pas forcément due à l’exercice à jeun lui-même), ne présente pas de bénéfices notables sur l’organisme et les performances.
L’entrainement à jeun peut s’avérer intéressant pour les personnes à l’emploi du temps serré et/ou à la digestion capricieuse mais à mon sens, ça s’arrête ici.
Concernant la perte de poids, on peut tout à fait adapter son alimentation générale avec un léger déficit, sans pour autant s’entrainer à jeun si en plus cela ne nous convient pas.
Nouchka SIMIC